La corruption en Afrique, on en entend parler souvent et on la juge volontiers à l’aune de nos codes culturels occidentaux. Cette approche n’est probablement pas très judicieuse, ni très juste. Pour commencer à comprendre comment ce phénomène se joue dans la vie quotidienne, il existe une façon toute simple : regarder sur YouTube les vidéos d’artistes africains qui s’intéressent à ce sujet. Je vous en recommande une en particulier, réalisée par l’équipe camerounaise « Force de Frappe », dont voici le lien : www.youtube.com/watch?v=EGYdJxeZdHo
Cette vidéo présente comme premier intérêt qu’elle est tout à fait réaliste. Rien n’y est caricaturé et, bien que ce soit une fiction, elle est suffisamment proche de la réalité pour être regardée presque comme un documentaire.
Si on la regarde avec attention, cette vidéo permet de comprendre comment se produisent plusieurs phénomènes de corruption. Rappelons d’abord les éléments culturels du contexte camerounais qui vont avoir une influence ici : l’allégeance relationnelle qui donne la priorité aux relations sur tout le reste, une perception irrationnelle des choses qui ouvre grand la porte à toutes sortes de confusions et une nette préférence pour les habitudes au détriment de la loi. N’oublions pas certains éléments plus factuels qui ont aussi une grande importance : les boutiquiers qui se font arnaquer dans cette vidéo sont généralement des gens peu formés et peu nantis.
Au-delà de ce qui est montré dans ce court-métrage, il y a un autre élément très intéressant à repérer ici : les quelques commentaires rédigés au sujet de cette vidéo dénoncent avec elle les pratiques injustes des vrais bandits et des agents officiels qui se comportent réellement comme les trois escrocs de cette petite fiction. Mais personne ne relève le fait qu’un des commerçants se fait « aider » par son ami de la mairie pour échapper aux contrôles, et donc aux taxes. D’un point de vue rationnel, cette réalité là n’est pas franchement moins malhonnête que d’encaisser un bakchich pour fermer les yeux sur une irrégularité fiscale. Mais curieusement, cette petite fraude là ne choque personne. C’est tout le problème de la corruption en Afrique : les gens la dénoncent lorsqu’elle pèse sur leurs épaules, mais la tolère volontiers lorsqu’elle leur profite. On trouve ici un indice très intéressant pour comprendre pourquoi la lutte contre ce phénomène est là-bas si compliquée.